Tusk, un "homme d'Etat pour l'Europe" selon Van Rompuy
"C'est réglé"
’est réglé! ». La petite phrase lancée vendredi après-midi par un Herman van Rompuy rigolard et satisfait à quelques journalistes croisés par hasard dans le hall du Juste Lipse vendredi après-midi, était donc vraie. La désignation du premier ministre polonais Donald Tusk à la présidence du Conseil européen et de l’Italienne Federica Mogherini au poste de Haute représentante aux Affaires étrangères était bel et bien pliée, comme nous l’avions annoncé. Et elle s’est concrétisée rapidement en début du sommet spécial convoqué pour ce samedi. Après une dernière réunion « bilatérale » avec Angela Merkel et François Hollande - chefs de file respectifs de leurs camps politiques - et le premier ministre polonais, les chaleureuses salutations adressées par ses collègues au Premier ministre polonais au début, encore filmé, de la réunion, ne faisaient plus illusion. De son côté, Jean-Claude Juncker avait eu un entretien avec Federica Mogherini: c’est que, membre ès qualité de la Commission européenne, la nomination de la Haute représentante ne peut intervenir qu’en co-décision avec le nouveau président de la Commission.
En séance, le président encore en exercice du Conseil a fait brièvement sortir celui qu’il allait proposer à sa succession. S’en est suivie une très brève discussion, lors de laquelle Herman Van Rompuy a présenté le « ticket » Tusk-Mogherini, sollicitant l’accord des 28. Seule la présidente lituanienne Grybauskaite a signifié sa réserve, équivalent donc à une abstention. Son opposition à la nomination de l’Italienne, jugée par les pays baltes et les Polonais trop « prorusse », et sa tiédeur connue à l’égard de Tusk, en étaient les explications les plus vraisemblables.
« Mon bon ami Donald Tusk »
Herman Van Rompuy a ensuite interrompu le sommet pour, accompagné des deux promus, aller présenter la décision à la presse, « prise avec le soutien total du Conseil », a-t-il soutenu en dépit de l’info sur la Lituanienne. Le sortant a évoqué son « bon ami Donald Tusk », qui « a impressionné ses collègues et le monde extérieur par la manière cinfiante et déterminée avec laquelle il a mené son pays à travers la crise économique, réussissant à maintenir une ferme croissance économique sans jamais tomber en récession. » Bref, le nouveau Président est un « homme d’Etat pour l’Europe ».
Quant à Federica Mogherini, M. Van Rompuy a vanté son travail - récent et bref - aux Affaires étrangères « en ces temps troublés », déclarant que « l e Conseil européen est convaincu qu’elle prouvera ses talents et son efficacité de médiatrice, négociatrice et défenderesse de la place de l’Europe dans le monde. »
Les journalistes attendaient impatiemment les premiers mots de Donald Tusk: celui-ci est réputé connaître à peine l’anglais, et pas du tout le français… Dans la langue de Shakespeare, le nouveau Président s’est d’abord lancé: « Je ferai cette dernière conférence de presse ici comme premier ministre polonais dans ma langue maternelle. mais je vous promets que la prochaine, en décembre, je la ferai en anglais. Merci de votre patience. » Quelques instants plus tard, répondant au correspondant du Financial Times le relançant sur ses capacités à négocier avec les membres du Conseil avec ses faiblesses linguistiques (mais Tusk parle très bien l’allemand), celui-ci a répondu joliment: « I will polish my English, don’t worry! » (Jeu de mots sur « polish », qui signifie reluire/perfectionner: « Je perfectionnerai mon anglais, ne vous inquiétez pas! ») Quelques minutes plus tôt, la nouvelle Haute représentante avait fait sa propre déclaration en anglais, concluant par quelques mots de français…Sur le fond, Donald Tusk s’est d’emblée montré très… politique, donc habile. Sur le débat « austérité ou relance », le Premier polonais a mis en avant l’exemple polonais qui prouve que « combiner discipline fiscale et croissance est possible ». Mais il a ajouté «comprendre le signal venant de Paris et du président Hollande », qui avait le matin même tenu un « pré-sommet » avec ses homologues socialistes, où il a annoncé la tenue en Italie - présidence semestrielle italienne oblige - d’un sommet spécial sur l’économie et l’emploi le 6 octobre prochain.
Donald Tusk «ne peut imaginer» l’UE sans le Royaume-Uni
Sur le Royaume-Uni, dont le premier ministre David Cameron veut la tenue d’un référendum sur le maintien ou non dans l’UE, Donald Tusk a déclaré que « toutes ses attentes vis à vis de l’UE, même celles sur la lutte contre les abus à la circulation des travailleurs, peuvent être résolues ». Et le nouveau Président du Conseil « n’imagine pas une Union européenne sans le Royaume-Uni ». Façon aussi de remercier David Cameron qui, opposé au Polonais en juillet, a appelé cette semaine à sa désignation…
Enfin, sur la crise ukraino-russe, Donald Tusk a déclaré que « nous devons être courageux et raisonnables ». Une attitude sur laquelle, comme Polonais, traditionnellement perçu comme « antirusse », il sera certainement attendu au tournant. En la matière, il sera amené à composer avec l’Italienne «pro-russe » Mogherini, patronne de la diplomatie de l’UE. « Des pays et des personnalités peuvent avoir des avis différents. Pour moi, le plus important sera que nous élaborions ensemble une position qui soit efficace, et pas radicale. »
Au début de son petit speech, Donald Tusk avait rendu hommage au « maître de l’élaboration de compromis qui est assis à côté de moi », à savoir Herman Van Rompuy. Nul doute qu’avec ses premiers propos, Donald Tusk a commencé à se glisser dans l’habit que s’était tricoté son prédécesseur. «C'était les paroles parfaites. Juste pas dans la bonne langue ", remarquait une journaliste polonaise.